REQUALIFICATION D'UN CENTRE PORTUAIRE
Comme mentionné, le site tiré de l'énoncé du concours pour lequel le projet H+ d'Eric Guidice Architectes a été retenu identifie une contrainte bien spécifique : celle d'un développement, en plein coeur d'une zone portuaire et industrielle, qui engloberait le campus actuel de l'Université de Lund à Helsingborg et qui permettrait de faire le pont entre ses différentes facultés et les entreprises dynamiques installées à proximité du port d'échanges. Le défi est de taille, considérant la nature et ainsi que la complexité du site identifié, dont les contraintes teintent l'intervention à l'étude.
LE CENTRE PORTUAIRE, AU XXe et XXIe SIÈCLE
La ville portuaire, de par son historique et son caractère hautement spécifique, en termes programmatique, logistique et fonctionnel, est une ville naturellement connectée aux influx des marchandises, à l’outre-mer. Elle est donc sensible aux fluctuations du commerce de libre-échange. Ce concept, qui date de la création du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) en 1947, informe de la libre circulation des biens et services entre les autorités étatiques mondiales. Sa portée a d’ailleurs été exacerbée par l’avènement des technologies de communication masse et la multiplication des opportunités d’échanges (Baudoin, p. 13, 1999) qui ont, subséquemment, conduit à l’amenuisement des frontières physiques comme géographiques. Enfin, ces bouleversements ont complètement modifié le paysage économique mondial et les logiques relationnelles qu’il sous-tend, bousculant la relation historiquement significative que la ville entretenait avec son interface maritime (voir Figure 2.1).
En effet, dans le passé, les ports représentaient dans espaces publics d’exception, non seulement pour leur centralité, alors qu’ils sont grandement liés au développement des villes maritimes, mais aussi pour leurs réseaux d’échanges commerciaux et l'identité sociale particulière qu'ils alimentaient, toutes variables des singularités propres au port quant à sa morphologie urbaine et sa signification. Toutefois, au fil du temps, suite aux bouleversements énumérés ci-haut, ces lieux ont perdu de leurs qualités et caractères urbains pour laisser place à ces «machines indépendantes et hautement spécialisées» qui occupent généralement le front de mer et qui évacuent toute activité ou fonction non essentielles à leurs opérations internes (Russo, p. 32, 2016).
Figure 2.1 Développement séquencé d'Helsingborg autour de l'espace portuaire
Par les auteurs
Figure 2.2 Graphique illustrant la croissance des importations et exportations suédoises annuelles. Le taux de croissance dit grimpant des années 1980 à 2000 y est nettement illustré, alors que celui des années 2005 à 2015 ressort étant nettement moins prononcé.
Par les auteurs, données agrégées tirées de OMC, 2017
Ainsi, à ce jour, la ville portuaire agit plutôt à titre de plaque tournante, lieu des productions, entreposages et transits. En effet, si la production mondiale a décuplé entre les années 1980 et 2000, Baudoin affirme que les échanges, pour la même période, ont été multipliés par vingt (1999, PAGE, Baudoin), chiffrant le poids ces derniers à même l'échiquier mondial et, conséquemment, l'espace portuaire. Plus près du cas d'Helsingborg, l’étude du cas suédois tend plutôt à démontrer une hausse de 541% des échanges (en SEK, devise nationale) pour ces mêmes années (voir Figure 2.2). Ces échanges étant fonction des différentes conjonctures économiques, locales et mondiales, l’augmentation se chiffre plutôt à 162% (OMC, 2017).
Ces statistiques, bien que hautement spécifiques et peu reliées au caractère urbain de l’espace portuaire, mettent en lumière le fait que ce dernier est confronté à des fluctuations constantes, alors qu’il demeure, compte tenu de sa planification inscrite dans le modèle désuet d'une croissance économique grimpante ainsi que de la grande spécificité de ses équipements, peu flexible et peu robuste. Par conséquent, sa contribution à l’ensemble métropolitain s’en voit compromise.
LES DÉFIS DE LA REQUALIFICATION PORTUAIRE
Ainsi, le cas de la ville portuaire est d’une grande complexité, d’autant plus que sa revitalisation, ou régénération dans le cas des friches sous-utilisées comme celle du Bredgatan Area d’Helsingborg, fait intervenir un nombre particulièrement élevé d’agents compte tenu du caractère spécifique de ce type de milieu. En effet, à travers la lunette urbaine, la friche portuaire et son processus de transformation revêtent un caractère exceptionnel, intimement relié avec sa localisation, exception faisant intervenir trois concepts permettant de bien saisir les défis que pose l'exercice de la requalification à l’échelle urbaine.
Définie par la relation d’un site en particulier qui sera à la fois centre pour un sous-organisme urbain et périphérie pour un ensemble plus grand. Découle aussi du processus complexe de transformation de la ville et varie en fonction de la magnitude et du temps.
Schémas réalisés par les auteurs
Définitions tirées de Larochelle, 1999, p. 291-293
Parties d’un territoire situées à son extrême limite et à la frontière d’un autre. Il ne s’agit d’un endroit géographique fixe, puisque sa signification territoriale sera grandement influencée par le rayonnement de l’ensemble auquel la périphérie se rapporte.
La polarité reprend qualité d’un nœud ponctuel à exercer une fonction organique (attractive) accentuée dans un ensemble. Dans un tissu urbain, les pôles sont des nœuds complexes qualifiés par la présence d’espaces publics et d’édifices spécialisés Au contraire du pôle, l’élément anti-polaire sera inhibiteur d’activité sociale et souvent caractérisé comme un haut lieu d’équipements.
Ainsi, le cas de l’espace riverain est particulier comme, de par ses caractéristiques géomorphologiques, il est contraint à conserver dans le temps, malgré les mutations et expansions de la ville, son caractère de confins, tandis que la croissance des organismes urbains entraîne périodiquement les renversements de polarités et la migration de centres, entités en mouvance (Larochelle, p. 291, 1999). Cela se produit notamment lorsque l’agglomération s’agrandit et que ses confins, généralement édifiés de tissus et d’édifices typiquement anti-polaires, sont englobés dans un organisme plus grand et nécessairement requalifiés.
En somme, la requalification des friches portuaires exige donc la prise en considération de cette nécessité d’implanter sur les rives, un tissu et un corpus bâti qui revêtent un caractère fortement distingué à l’échelle de la ville entière et des fonctions qui sont compatibles avec cette localisation. Autrement, dans le redéveloppement des friches portuaires urbaines, le rétablissement des liens entre la ville et l’eau passe nécessairement par la planification du prolongement ordonné du domaine public jusqu’au littoral (Larochelle, p. 293, 1999).
Figure 2.3 La mise en contexte du projet H+ soulève certaines problématiques quant à l'intégration et la mise en relation du nouveau développement à la ville.
Par les auteurs, axonométrie tirée de EGA
À cet effet, la figure 2.3 démontre que le projet H+, dans sa proposition finale, répond mal à cette prémisse attribuable à la nature portuaire du site. La complétion de l'îlot ciblé, malgré les prémisses et intentions qui animent la proposition, tend plutôt à mettre en lumière la séparation historique s'étant perpétrée entre ville et front de mer. En effet, en articulant le développement autour d'une colonne vertébrale, d'un axe central structurant à l'échelle de l'îlot, le projet tourne à la fois dos à la portion du centre-ville qui s'étale vers le sud et, de façon plus inquiétante, à la mer, qui, comme il a été mentionné dans sa description, caractérise Helsingborg et forge son identité. En ce sens, le projet ne répond pas aux prémisses inhérentes au caractère portuaire du site d'intervention en retardant la prolongation de la ville jusqu'au littoral. En effet, le développement se bute, à ce niveau, à une accumulation des barrières qui freine cette planification.
L'ESPACE PORTUAIRE, UNE FRAGMENT URBAIN ISOLÉ
En effet, si l’espace portuaire s’ouvre davantage à la mer et aux opportunités d’échanges, il a développé, suite aux pressions d’une économie de marché globalisée, un front bâti hautement technique, autonome, et surtout monofonctionnel orienté vers le large, tournant, lui aussi, dos à la ville. Cette ségrégation spatiale est, en outre, attribuable à l’échelle de la logique à laquelle les infrastructures portuaires appartiennent. Ces dernières, contribuent peu à l’urbanité des villes et agissent à titre de limites urbaines, ces espaces vécus différemment, où se concentre une succession de barrières (industries lourdes, voies ferroviaires, routes transnationales, etc.) qui, dans le cas du projet étudié, séparent ville et bord d’eau (voir Figure 2.4).
Figure 2.4 Illustration des barrières et limites entourant le site du nouveau développement H+.
Par les auteurs
L'identification des différentes barrières entourant le site du projet H+ a permis de mettre en lumière le fait que ce dernier se voit enclavé, alors qu'une succession de voies ferrées, la route nationale Malmöleden, à haut débit de circulation, ainsi qu'une série d'espaces peu conviviaux et peu adaptés à la circulation piétonne ceinturent le site de façon quasi continue. Cette analyse à l'échelle micro s'avère révélatrice, car le degré de connectivité du site à la ville demeure somme toute considérable (voir Figures 2.5.1 à 2.5.3).
Figures 2.5.1, 2.5.2 et 2.5.3 Mobilités à l'échelle de la ville d'Helsingborg. En rouge, le réseau automobile, en orange celui des transports en commun et en jaune celui des pistes cyclables.
Par les auteurs
Projet H+
Knupunkten
pôle de transports
Piste cyclable locale
Piste cyclable nationale
Voies cyclables
Comme démontré, bien que le site soit actuellement traversé par une piste cyclables nationale, qui à la hauteur du futur développement H+ ne se résume actuellement qu'à une voie cyclable comprise à même une artère davantage propice aux déplacements en voiture, et situé à proximité de lignes de transport en commun et du pôle de transport Knupunkten, l'ensemble demeure ceinturé de barrières et comprend une majorité d'attributs qui le rendent fort peu adapté à la circulation piétonne (voir Figure 2.6).
Figure 2.6 Cartographie des points de vue actuels à partir du site H+, en orange, et futur, en vert. En cliquant sur les pastilles, il est possible de les visualiser.
Par les auteurs, photos tirées de Google Street View (2016) et EGA
L'ESPACE PORTUAIRE, UNE FRAGMENT URBAIN EN REDÉFINITION
Au final, à l’échelle macro, celle de la ville, le redéveloppement des espaces portuaires, se collant au thème de ville fluide, permettant des allers-retours entre littoral, espace public et espaces urbains, rejoint le thème de la robustesse. En effet, selon lui, les villes les plus prometteuses et dynamiques ne seront plus celles capables d’attirer les grands projets d’investissements menés par les lois du marché (immobilier), mais celles qui auront une grande diversité socio-culturelle et qui seront capables de mettre à profit cette diversité afin de créer une nouvelle culture urbaine, ouverte et flexible, activant de nouvelles ressources identitaires, générant finalement des nouvelles valeurs économiques, celle d’une économie circulaire, de recupero (Carta, p. 1, 2016). Toujours selon Carta, les villes portuaires sont plus susceptibles de pouvoir mettre en oeuvre ce renversement, de par leur caractère particulier, tel que discuté plus haut. Ce processus se rapporte à sept grands principes, dont certains pourront être rapportés à l'analyse du projet H+ (voir Figure 2.7).
Figure 2.7 Schéma synthétique de la ville fluide et de ses sept principes. En cliquant sur les mots-clé il est possible d'en avoir une brève définition et d'être rediriger vers la section du site se rattachant à ces derniers.
Par les auteurs